Qui était réellement Pie XII ?

Pie XII
Pie XII
Pie XII écrit un de ses messages radios de Noël à la machine à écrire. Aucune similitude avec le Pie XIII de The Young Pope, si ce n’est l’habit…

Dans The Young Pope, on parle peu de Pie XII, si ce n’est pour affirmer qu’il était conservateur. Mais qui était réellement ce pape ? La réponse d’Ivan Gobry, auteur du Dictionnaire des papes, paru en 2013 aux éditions Pygmalion.

PIE XII – Eugenio Pacelli (Rome, 1876 – Castelgandolfo, 1958)
260e pape (1939-1958) – successeur de Pie XI.

Né à Rome le 2 mars 1876, il est le fils de Filippo Pacelli, doyen des avocats du Consistoire pontifical. Il entre en 1894, après ses études secondaires, au collège romain Capranica, comme clerc externe, puis à l’Athénée pontifical Saint-Appolinaire,  pour ses études de théologie. Ordonné prêtre le 2 avril 1889 par Mgr Cassetta, patriarche d’Antioche, il est reçu au doctorat in utroque jure (droit canon et droit civil) et au doctorat de théologie. En 1902, il est nommé professeur de droit canon à l’Apollinaire. Le cardinal Varnnutelli lui ouvre en 1905 les portes de la Secrétairerie d’État, où il franchit les degrés de l’administration. Ensuite, la promotion est rapide : en 1912, Pacelli est pro-secrétaire d’Etat, en 1914 secrétaire d’État de Pie X. Il a trente-huit ans. Il demeure dans ce poste durant le pontificat de Benoît XV. En 1917, Pacelli est nommé nonce apostolique à Munich et archevêque titulaire de Sardes. Il négocie alors plusieurs concordats : avec la Lettonie (1922), la Bavière (1924), la Pologne (1925), la Roumanie (1927), la Prusse (1929). Nommé en 1929 comme cardinal secrétaire d’État par Pie XI, il signe en 1933 un concordat avec Hitler, devenu chancelier de la République de Weimar. Ce gouvernement ne respectant pas l’accord souscrit, Pacelli lui adresse cinquante-cinq notes de protestation.

En 1938, à la suite de l’Anschluss, il réclame au cardinal Innitzer, archevêque de Vienne, de rédiger une déclaration contre l’invasion de l’Autriche par l’Allemagne. Pie XI étant mort le 10 février 1939, le conclave se réunit le 1er mars. Pacelli est élu dès le lendemain et prend le nom de Pie XII.

Un pape… bavard ! (40 encycliques)

Il choisir pour secrétaire d’Etat le cardinal Maglione. L’Europe venait de s’engager dans la Seconde Guerre mondiale. Le pape la dénonça dans sa première  encyclique, Summi puntificatusles merveilleux desseins du Seigneur » – 20 octobre 1939), condamna l’agression de l’armée soviétique contre la Finlande (26 décembre 1939), dénonça par Radio Vatican les atrocités commises par les armées allemandes en Pologne. Le 11 mars 1940, Pie XII protesta auprès de Ribbentrop contre le traitement des juifs en Allemagne, le 25 décembre 1941, à 1a radio, contre les persécutions raciales, le 2 juin 1943, contre les « mesures d’extermination », le 26 juin 1943, contre « la distinction entre les juifs et les autres hommes ».

Après la guerre, ce fut le communisme que le pape dut affronter. En 1948, le cardinal Mindszenty, primat de Hongrie et Mgr Stepinac, archevêque de Zagreb, furent Juges et emprisonnés par des États communistes. Le 1er juillet 1949, les persécuteurs
furent excommuniés.
Pie XII a proclamé le dogme de l’Assomption de la Vierge Marie (constitution apostolique Munificentissemus Deus – « Dieu bienfaisant », 1er novembre 1950). Il a canonisé Gemma Galgani (1940), Louis-Marie Grignion de Montfort (1947), Catherine Laboure (1947), Jeanne de France (1950), Maria Goretti (1950), Pie X (1954).

Un précurseur

Il armonça la découverte, après de savants travaux archéologiques, de la tombe de saint Pierre, sous l’autel majeur de la basilique Saint Pierre (23 décembre 1950).

Il publia les encycliques Mediator DeiDieu médiateur », 20 novembre 1947) sur la liturgie, et Mirando prorsusLes merveilleux progrès techniques »  – 8 septembre 1957) sur les moyens de communication.
Pie XII mourut le 9 octobre 1958 à Castelgandolfo, résidence d’été des papes, après un pontificat de dix-neuf ans et sept mois. Il fut inhumé dans les grottes vaticanes, près de la chapelle ad caputaux pieds »), qui touche à la tombe de saint Pierre. Sa cause de béatification est à l’étude. Son successeur fut Jean XXIII.

Quelle est la place de l’Eglise catholique dans le monde ?

L'élection d'un nouveau pape, un évènement planétaire transformé ici en scène machiavelique...

L’élection d’un nouveau pape, Pie XIII (photo ci-dessus), un évènement planétaire transformé dans The Young Pope en scène machiavélique, avec un Pie XIII imbu de lui-même, vitupérant, cassant, autoritaire et caractériel, d’après Pèlerin magazine… Mais quelle est la véritable place de l’Eglise dans le monde ?

Dans la vision extravagante et sarcastique du réalisateur de la série The Young Pope / The New Pope vendue dans plus de 110 pays, il n’est nullement question de l’importance de l’Eglise catholique, qui se tient pourtant au chevet du monde. Au contraire, même, le réalisateur et scénariste italien Paolo Sorrentino a déclaré « Il est illusoire de croire que l’Eglise a pris le chemin de l’ouverture et des bras tendus ». Qu’en est-il, en réalité, des bras ouverts de l’Eglise envers des millions de personnes, alors que pas plus tard que dimanche dernier par exemple, le pape François lui-même recevait des milliers de personnes sans domicile fixe au Vatican ? Deux auteurs, Austen Ivereigh et Natalia Trouiller, nous apportent ici une réponse à cette question, extraite de leur livre Comment répondre aux questions brûlantes sur l’Eglise sans refroidir l’ambiance

Un acteur mondial doté d’une vision mondiale

À l’heure actuelle, l’Église catholique compte 1,2 milliards de fidèles (17,5 % de la population), répartis sur tous les continents : 50% en Amérique du Nord et du Sud, un 25% en Europe, et le nombre de fidèles ne cesse d’augmenter en Afrique (16%), en Asie (11 %) et en Océanie (moins de 1 %). On compte plus de 5.000 évêques, environ 405.000 prêtres, 41.000 diacres mariés, 55.000 religieux et plus de 700.000 religieuses présents dans des centaines de pays.

L’Église catholique a la responsabilité de plus de 220 000 paroisses, 5 000 hôpitaux, 17 500 dispensaires et 15 000 maisons de retraite, ainsi que des dizaines de milliers d’écoles. Elle est certainement un des plus grands organismes d’aide au développement, si ce n’est le plus grand. Caritas Internationalis, une confédération de 165 organisations catholiques nationales à but caritatif, présente dans plus de 200 pays, basée à Rome et fondée il y a plus de soixante ans, estime son budget annuel à plus de 5 milliards de dollars. En Afrique, pour ne prendre que cet exemple, l’Eglise tient un quart des hôpitaux, et ses écoles reçoivent et instruisent environ 12 millions d’enfants chaque année. L’Eglise catholique soigne, éduque, forme et accompagne des millions de personnes à travers le monde entier. Il s’agit de l’acteur le plus important et le plus influent de la société civile mondiale.

Sa vraie richesse : son expertise en humanité

La richesse de son expérience et de sa sagesse, acquises par sa présence dans le monde, lui offre une véritable « expertise en humanité(1) », qui légitime ses prises de position morales à l’échelle internationale. L’Église catholique est le seul corps religieux à avoir une présence officielle aux Nations Unies, grâce à son statut d’Etat observateur.

C’est la seule religion à bénéficier d’un corps diplomatique (le plus ancien existant à ce jour). L’Église est un partenaire majeur des « Objectifs du millénaire pour le développement » (OMD), le plan d’action mondial des Nations Unies, et se bat sans relâche pour l’annulation de la dette et en faveur de multiples autres formes d’aide financière pour les pays en voie de développement.

A l’avant-garde de nombreuses causes

Le Vatican est le premier Etat du monde à avoir un bilan carbone neutre. Le pape François souhaite d’ailleurs que toute l’Église dans le monde entier suive cet exemple et fasse de la bonne administration de la création la plus importante de ses questions sociales.

Le Saint-Siège joue un rôle capital dans les négociations de désarmement et dans les traités sur le commerce des armes; il fait campagne contre la peine de mort, il négocie la libération d’otages et participe à la résolution de conflits. Il défend également des réformes destinées à mettre davantage l’économie au service de l’humanité.

En 2011, par exemple, le Conseil pontifical Justice et Paix a appelé à mettre en place de nouvelles structures mondiales capables de restreindre et de réguler les marchés financiers internationaux en vue du bien commun, en soutenant notamment l’idée d’une taxe sur les transactions financières.

Toutes ces initiatives pourraient être considérées comme progressistes, mais l’Église juge tout aussi progressiste son opposition aux lois favorables à l’avortement, au suicide assisté, au mariage pour les couples homosexuels, aux recherches sur les cellules souches embryonnaires, à la fécondation in vitro, à la gestation pour autrui et à la peine de mort que sa défense des migrants, des victimes des trafics humains et des personnes sans emploi.

La dignité des personnes avant tout

Le point commun de tous ces sujets est la défense de la dignité de la personne humaine, même si cette dignité n’est pas évidente pour la majeure partie de la société. Les droits et la dignité des bébés avortés, des enfants élevés dans un foyer homosexuel et privés d’un père ou d’une mère, des personnes âgées hospitalisées et des étrangers ne sont pas reconnus. Ils sont les victimes d’une « société du déchet », selon la puissante métaphore du pape François: « Malheureusement, ce ne sont pas seulement la nourriture ou les biens superflus qui sont objet de déchet, dit-il, mais souvent les êtres humains eux-mêmes, qui sont ‘jetés’ comme s’ils étaient des ‘choses non nécessaires’ (2) »

Le Saint-Siège, grâce à sa présence dans l’ensemble du monde et à l’attention qu’il porte à tous les hommes, a une position unique, qui lui permet de coordonner des réponses à des défis mondiaux tels que le trafic des êtres humains, le commerce des armes ou la peine de mort, que le pape François qualifie de méthode de punition « cruel(le), inhumain(e) et dégradant(e) », qui « ne rend pas justice aux victimes mais fomente la vengeance » (3).

Le Saint-Siège peut aussi apporter son aide à toutes les personnes exclues des structures traditionnelles qui protègent les plus vulnérables (comme les syndicats, par exemple). En octobre 2014, le pape François a prononcé un discours devant les participants la Rencontre mondiale des Mouvements populaires, afin d’appeler à la reconnaissance de leurs droits. Il est difficile d’imaginer n’importe quel autre dirigeant déclarer aux éboueurs, aux professionnels du recyclage, aux marchands ambulants, aux couturiers, aux pêcheurs, aux agriculteurs et aux autres travailleurs du secteur informel que « déjà à présent, chaque travailleur, qu’il appartienne ou non au système officiel du travail salarié, a droit à une rémunération digne, à la sécurité sociale et à une retraite, (…) je désire aujourd’hui unir ma voix à la leur et les accompagner dans la lutte. » (4)

Pour aller plus loin :

Notes :

  1. Selon les termes de Paul VI dans un discours aux Nations Unies, le 4 octobre 1965.
  2. Discours du Pape François au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 1 3 janvier 2014.
  3. Lettre au président de la Commission internationale contre la peine de mort, 20 mars 2015.
  4. Discours aux participants à la Rencontre mondiale des Mouvements populaires, 28 octobre 2014.

D’où vient la Cité du Vatican ?

Vue de la Cité du Vatican, dans The Young Pope (le bus est arrêté en pleine côte)

Dans la série The Young Pope et son Pie XII fantasmé, l’impasse est faite sur la fabuleuse histoire réelle de la Cité du Vatican. D’où nous vient-elle ? La réponse de Michèle Jarton, historienne des religions, dans son livre L‘épopée du catholicisme, pour expliquer 2000 ans d’Eglise à mes amis.

Pie XI (1922-1939) et Pie XII (1939-1958) s’efforcèrent, en temps que papes, de faire reconnaître et respecter la liberté et les droits de l’Eglise sur la scène publique, comme le moyen de sa mission spirituelle. Dans un monde politique qui s’internationalise, il n’est plus question pour les gouvernements d’accepter que Rome intervienne directement dans les affaires temporelles.
Les relations entre l’Église catholique et les autres États prennent un nouveau visage avec la création de l’État pontifical, le Saint-Siège : le souverain pontife devient aussi chef d’État. Le traité du Latran va donner à l’Église catholique des moyens adaptés à la vie internationale de ce nouveau siècle, tant pour faire fonctionner librement son gouvernement centralisé et son extension universelle (lire aussi notre article Le Vatican est-il une dictature ?), que pour établir un réseau diplomatique qui deviendra planétaire. Il confère aussi à l’autorité du Vatican la faculté de prendre place au sein des organisations internationales nées après la Première guerre mondiale et qui se multiplieront après la Seconde (le Saint-Siège aura un statut d’« observateur », en raison de la neutralité imposée par les Accords du Latran, art. 24). Ce cas est unique pour une confession religieuse.

La Cité du Vatican

plan-cite-du-vatican

La fameuse « question romaine » trouve sa conclusion dans les Accords du Latran entre le Saint-Siège et l’Italie. Le 11 février 1929, le cardinal Gasparri, secrétaire d’État (au nom du pape Pie XI) et Mussolini, premier ministre (au nom du roi Victor-Emmanuel III) signent un traité et une convention financière annexe. Ils créent un nouvel État de 0,44 km2, sur la scène internationale, la Cité du Vatican.

On lit dans le préambule : « Étant donné que, pour assurer au Saint-Siège l’indépendance absolue et visible, il faut lui garantir une souverain indiscutable, même dans le domaine international, on s’est rendu compte qu’il était nécessaire de constituer… la Cité du Vatican, reconnaissant au Saint-Siège, sur cette même Cité, la pleine propriété, la puissance exclusive et absolue et la juridiction souveraine ».
Au regard du droit international, c’est le « Saint-Siège » (et l’« Église catholique ») qui a une personnalité juridique. Il est représenté par le pape qui exerce lui-même une double souveraineté territoriale (sur un État de 44 ha) et spirituelle (sur 1 milliard de fidèles). On distinguera donc l’action du Saint-Siège en tant qu’entité de la Cité du Vatican et en tant qu’entité de l’Eglise catholique (lire aussi notre article Saint-Siège et Vatican, c’est pareil ?).
Une convention financière stipule qu’à titre de dédommagements pour la perte de ses anciens États (les fameux Etats pontificaux) et de ses biens ecclésiastiques, le Saint-Siège recevrait de l’Italie 750 millions de lires et des titres à 5 % d’une valeur nominale de 1 milliard.
A l’occasion de la signatures des Accords du Latran, Pie XI affirme :

« Il nous plaît de voir le domaine foncier réduit à de si minimes proportions qu’il puisse et doive être lui-même considéré comme spiritualisé par l’immense, sublime et vraiment divine puissance spirituelle qu’il est destiné à soutenir et servir ».

Le pape va entreprendre de transformer cet ensemble de palais et musées en un lieu de gouvernement. Il construit une petite gare, une poste, un magasin d’approvisionnement, un service hospitalier… Seuls sont logés dans le minuscule périmètre du Vatican, le pape, la secrétairerie d’État, plusieurs services, collèges et musées. Les autres organismes, dont les Congrégations (ou ministères) sont situés à Rome, dans des bâtiments qui bénéficient du privilège de l’extraterritorialité, avec exemption d’expropriation (Annexe II, du traité du Latran).

Le Vatican est-il une dictature ? La réponse du pape Benoît XVI

Pie XIII - The Young Pope
Pie XIII, dans The Young Pope, est un tyran qui humilie ses conseillers, comme ici le cardinal Voiello (Silvio Orlando) en l'obligeant à baiser son pied, devant tous les autres cardinaux...
Lenny Belardo, allias Pie XIII, dans The Young Pope, est un tyran qui humilie ses conseillers, comme ici le cardinal Voiello (Silvio Orlando) en l’obligeant à baiser son pied, devant tous les autres cardinaux…

Le Vatican est-il une dictature et le pape, un homme autoritaire imposant ses points de vue, comme Pie XIII dans la série The Young Pope ? La réponse du pape Benoît XVI, tirée du livre d’entretiens avec le journaliste Peter Seewald, Lumière du monde / le pape, l’Eglise et les signes des temps, paru en 2010.

Peter Seewald : Dans de nombreux pays, des associations laïques militent pour l’indépendance à l’égard de Rome et pour une Église spécifique, d’esprit national et démocratique. Le Vatican est alors présenté comme une dictature, le pape comme un homme qui, d’une main autoritaire, impose ses points de vue. Quand on examine la situation plus précisément, on remarque l’accroissement des forces centrifuges plutôt que celle des forces centrales, la rébellion contre Rome plutôt que la solidarité avec Rome. Cette lutte d’orientation, qui dure à présent depuis des décennies, n’a-t-elle pas aussi provoqué depuis très longtemps une sorte de schisme au sein de l’Eglise catholique ?

Benoît XVI : Je dirais dans un premier temps que le pape n’a pas le pouvoir d’obtenir quelque chose par la force. Son «pouvoir» relève uniquement d’une conviction qui fait comprendre aux gens que nous dépendons les uns des autres et que le pape est chargé d’une mission dont il ne s’est pas chargé de son propre chef. Seule cette conviction permet à cet ensemble de fonctionner. Seule la conviction de la foi commune permet aussi à l’Eglise de vivre en communion. Je reçois tant de lettres, aussi bien de gens simples que de personnalités de premier plan, qui me disent : « Nous ne faisons qu’un avec le pape, il est pour nous le vicaire du Christ et le successeur de Saint-Pierre, soyez assurés que nous croyons et que nous vivons en communion avec vous. »

benoitxviIl existe bien entendu, et cela ne date pas d’hier, des forces centrifuges, une tendance à former des Eglises nationales — et certaines sont effectivement apparues. Mais aujourd’hui, justement, dans la société globalisée, dans la nécessité d’une unité interne de la communauté mondiale, on voit bien que ce sont en réalité des anachronismes. Il devient clair qu’une Eglise ne grandit pas en se singularisant, en se séparant au niveau national, en s’enfermant dans un compartiment culturel bien précis, en lui donnant une portée absolue, mais que l’Eglise a besoin d’unité, qu’elle a besoin de quelque chose comme la primauté.

J’ai été intéressé en entendant le théologien russe orthodoxe John Meyendorff, qui vit en Amérique, dire que leurs autocéphalies(1) sont leur plus grand problème ; nous aurions besoin, disait-il, d’une sorte de premier, d’un primat. On le dit aussi dans d’autres communautés. Les problèmes de la chrétienté non-catholique, que ce soit sous l’angle théologique ou pragmatique, tiennent en bonne partie au fait qu’elle n’a pas d’organe assurant son unité. Il est donc clair qu’un organe de ce type est nécessaire, il ne doit pas agir de manière dictatoriale, bien sûr, mais depuis la communion intérieure de la foi. Les tendances centrifuges ne disparaîtront certainement pas, mais l’évolution, la direction générale de l’histoire nous le disent : l’Eglise a besoin d’un organe pour assurer l’unité.

(1) Du grec autokephal, autodéterminé ; dans l’Eglise grecque, cela désigne une Eglise autonome. Les autocéphalies ont leur propre chef et désignent elles-mêmes leur archevêque/métropolite.

Tout savoir sur les gardes suisses !

La Garde Suisse, au Vatican
La Garde suisse, au Vatican, a toute une histoire… elle a même changé plusieurs fois d’uniforme – ce que n’a pas envisagé le pape Pie XIII dans la série The Young Pope !

D’où vient la Garde suisse et ses militaires, que l’on retrouve toujours dès qu’il est question de filmer quelque chose au Vatican, comme dans The Young Pope ? (Le mari d’Esther – Ludivine Sagnier – en est un). Que faut-il pour devenir garde suisse et se mettre ainsi au service direct du pape ?

D’où vient la Garde suisse ?

Crée par le pape Jules II le 22 janvier 1506 (annoncé depuis le 7 décembre 1505), la Garde Suisse est la plus petite armée du monde (110 militaires), chargée de veiller à la sécurité du pape et du Vatican. Il fut un temps où le seul métier autorisé pour un Suisse hors de Suisse était d’être mercenaire. C’étaient alors de très bons soldats : le futur Jules II, encore évêque de Lausanne, avait remarqué chez eux cette qualité, pendant les guerres de Bourgogne.

La Garde suisse est la dernière encore existante (des détachements de mercenaires suisses servaient de garde rapprochée et protocolaire pour différentes cours européennes à partir du XVe siècle : y compris en France, ils protégèrent Louis XVI lors de l’attaque des Tuileries, et la plupart périrent pour sauver le roi…

Les accords du Latran (1929) signés entre l’Etat italien et l’Eglise catholique sont une étape importante pour la Garde suisse : ils comportent un traité qui reconnaît au Saint-Siège une juridiction souveraine, exclusive et absolue sur le Vatican. Celui-ci, précise, à l’article 3 :

« L’Italie reconnaît au Saint-Siège la pleine souveraineté et l’autorité exclusive et absolue et juridiction souveraine sur le Vatican, tel qu’il est actuellement constitué, avec toutes ses pertinences et dotations, en créant de cette façon la Cité du Vatican dans les buts spécifiques et avec les modalités du présent Traité. »

Un autre paragraphe reprend et précise la question des accès et des frontières :

« Il est entendu que la place Saint-Pierre, tout en faisant partie du Vatican, continuera d’être normalement ouverte au public et assujettie aux pouvoirs de police des autorités italiennes ; lesquelles s’arrêteront au pied des marches de la basilique, bien que celle-ci continue d’être destinée au culte public, et par conséquent elles s’abstiendront de gravir les marches et d’accéder à ladite basilique, sauf si elles y sont invitées par l’autorité compétente. Si le Saint-Siège, en vue de fonctions particulières, souhaitait soustraire temporairement la place Saint-Pierre à la libre circulation du public, les autorités italiennes, à moins qu’elles ne soient invitées à rester par l’autorité compétente, se retireront au-delà des traits extérieurs de la colonnade du Bernin et de leur prolongement. »

La création du nouvel État de la Cité du Vatican pose aussi une question délicate à la Confédération helvétique, du moment qu’il s’agissait de permettre à certains de ses citoyens de s’enrôler dans une « armée » étrangère. La question fut résolue par un délibéré du Conseil fédéral suisse, qui, quatre jours après la signature des accords, précise :

« Il est difficile de considérer la garde papale comme un corps armé étranger, au sens de l’article 94 du Code pénal militaire, dans la mesure où cette troupe est une simple garde de police, quiconque pourra y prêter service sans l’autorisation du Conseil fédéral. »

C’est aussi en 1929 que commencent les travaux pour la construction des locaux d’habitation des officiers et sous-officiers de la garde, et que l’on achève la restauration de la petite église des Saints-Martin-et-Sébastien que Pie V avait fait bâtir en 1568 dans le quartier des Suisses… S’il leur est demandé d’être célibataires, c’est surtout à cause de la vie en caserne où ils sont plusieurs par chambre, et qu’il y a peu de logements indépendants…

Que faut-il pour devenir Garde suisse ?

Le site Internet de la Curie romaine dresse très clairement la liste des qualités nécessaires pour devenir soldat du pape :

« Je suis citoyen suisse. Je suis de foi catholique romaine. J’ai une réputation irréprochable. J’ai fréquenté l’école des recrues en Suisse. J’ai entre dix—neuf et trente ans. Je mesure au moins 1 74 centimètres. Je suis célibataire. Je suis titulaire d’un certificat d’aptitude professionnelle ou d’un baccalauréat. »

Bref : sexe masculin, suisse, taille moyenne, célibataire et… catholique. Précisons, sur cet aspect, qu’il faut obligatoirement être baptisé, confirmé, avoir fait sa première communion, avoir une lettre d’un prêtre suisse qui certifie que vous puisez vos forces aux sacrements de l’Eglise… Il faut enfin avoir fait au moins 1 des 2 années de service militaire (si on en a fait qu’une on peut faire la seconde à la Garde suisse mais comme on signe pour au moins 2 ans, on a donc un service militaire de 3 ans !). Le salaire mensuel d’environ 1 350 euros. On ne peut se marier qu’après l’âge de vingt-cinq ans, à condition d’avoir trois ans d’expérience et le grade de caporal, et de s’engager à servir l’Église de Rome pendant au moins trois années encore.

Que fait la police ?

Les deux tiers du personnel sont attachés à la garde des différentes entrées des palais apostoliques : dans la cour Saint-Damase, dans celle du Belvédère, aux étages des Loggias, dans la salle Royale, face aux bureaux du secrétariat d’État, dans les appartements privés du pape. De plus, la garde surveille les accès extérieurs : accès du Petriano, Arc des Clochers, porte de Bronze et porte Sainte-Anne.

Les gardes suisses sont de service d’honneur et de sécurité chaque fois que le pape est présent : lors des cérémonies à la basilique Saint-Pierre, des audiences générales et au cours des visites de chefs d’États étrangers, etc. Il y a ensuite les inspections, les marches, les exercices de tir, les répétitions de la fanfare, le chœur…

Les cent seize soldats sont répartis en trois escadrons qui alternent au cours de la journée. L’un est de service, l’autre de renfort, le troisième a quartier libre. Trois officiers et un groupe de sous-officiers travaillent sous les ordres du commandant-colonel. En général, les officiers et le sergent-major travaillent en civil. Le chapelain du corps est l’équivalent d’un lieutenant-colonel. Les gardes se restaurent à la cantine interne, gérée par les religieuses albertines.

Le drapeau de la garde suisse est partagé en quatre champs par une croix blanche. Le premier affiche le blason du pape régnant, le quatrième celui de Jules II, les deux étant sur fond rouge. Les deuxième et troisième champs se rehaussent en revanche des couleurs du corps militaire : le bleu, le rouge et le jaune. Au point d’intersection des bras de la croix, se détache le blason du commandant en charge.

Bon à savoir

Dans les guide touristiques de Rome, il est dit que l’uniforme fut dessiné par Raphaël chargé à l’époque de la décoration du Vatican. En réalité, chaque pape, avec sa fortune personnelle, s’il le souhaite, peut faire changer l’uniforme et les couleurs de la garde. Le dernier en date à le faire fut Benoit XV au début du 20ème siècle.

Enfin on ne peut parler de la Garde suisse sans parler du 6 mai 1527 : 40.000 soldats sous les ordre des Bourbons attaquèrent Rome. Rome de son côté avait formé à la hâte, pour se défendre, une armée de 3.000 hommes et quelques anciens gardes suisses étaient venu prêter main forte pour former une troupe de 189 gardes suisses sous les ordre du Commandant Kaspar Roist. Autant vous dire que les 3.000 hommes ne furent pas le poids et que les 189 gardes suisses furent le dernier rempart pour protéger le pape. Il décidèrent alors d’amener le pape au château Saint Ange pour le mettre à l’abri. Certains partir avec le pape et d’autres restèrent pour retarder l’armée adverse. Le pape fut sauvé. Il restait alors seulement 42 gardes suisses qui réussir à tenir le siège jusqu’au 5 juin, où le pape finit par se rendre contre l’assurance de sa vie sauve et de celle de ses garde, contre une rançon en or et en territoire, avec l’assurance de continuer d’être pape et la possibilité que les gardes suisses encore en vie puissent rester dans sa garde personnelle. Depuis, la fête de la Garde suisse est le 6 mai : si vous êtes à Rome ce jour-là, vous pouvez aller les voir défiler place Saint-Pierre !

Un autre anniversaire

En mai 2006, la garde suisse a fêté le cinquième centenaire de sa fondation. Le pape Benoît XVI a alors déclaré, dans son homélie :

« Devenir gardes suisses signifie adhérer sans réserve au Christ et à l’Eglise, prêts pour cela à donner leur propre vie.(…) A Rome, où se trouve en effet le centre de l’Eglise universelle, se croisent des chrétiens du monde entier. L’Eglise catholique est internationale et malgré la multiplicité de ses formes elle est une. Cette unité s’exprime dans la profession de foi et se manifeste concrètement dans le lien avec Pierre et le Pape, son Successeur. L’Eglise rassemble des hommes et des femmes de cultures très diverses, qui forment ensemble une communauté de vie et de foi, c’est cette expérience de grande importance que l’Eglise vous offre aujourd’hui, afin de la communiquer ensuite à d’autres, de montrer que dans la foi en Jésus-Christ, des mondes différents peuvent être une chose seule et créer des ponts de paix et de solidarité entre peuples. »

 

Le Vatican et le Saint-Siège, c'est pareil ?

Cardinal Voiello (Silvio Orlando) - The Young Pope
Cardinal Voiello (Silvio Orlando) dans la série The Young Pope
Le Cardinal Voiello (Silvio Orlando) dans The Young Pope : une éminence grise aux manigances pas très catholiques, mais qui conseille assidûment le pape Pie XIII…

Dans la série The Young Pope du réalisateur Paolo Sorrentino diffusée simultanément sur Canal+, Sky Atlantic et HBO, l’action se déroule au Vatican. Sans qu’il soit toutefois expliqué une seconde, dans la bouche d’un des protagonistes, ni même du pseudo obscurantiste pape Pie XIII, ce que ce petit Etat représente. Les explications d’Austen Ivereigh, avec la participation de Natalia Trouiller, dans le livre Comment répondre aux questions brûlantes sur l’Eglise sans refroidir l’ambiance (Editions de l’Emmanuel 2016).

La ville du Vatican, malgré sa splendeur, n’est qu’une petite partie de la ville de Rome. Elle est cependant reconnue comme un Etat suite aux Accords du Latran de 1929. Cet accord signé avec le dictateur italien Benito Mussolini mettait un terme à la question de la souveraineté territoriale du Vatican qui se posait depuis la perte des États pontificaux et la naissance de l’Italie en tant qu’Etat-nation.

On entend dire parfois que c’est uniquement grâce à ces accords que le Vatican est reconnu sur le plan international. Mais ce serait confondre le statut du Vatican comme État et la souveraineté internationale du Saint-Siège, reconnue, elle, depuis des siècles, et donc bien avant 1929. Par exemple, les plus anciennes relations diplomatiques que la France entretient sont celles qui la lient au Saint-Siège depuis le XIIIe siècle. Ces relations ont été formellement établies sous Henri IV et ne connurent d’interruption qu’entre 1904 et 1921, soit plusieurs années avant les Accords du Latran. La nonciature apostolique en Suisse, établie en 1597 à Lucerne, est la plus ancienne représentation permanente du Saint-Siège au nord des Alpes. Le nonce était alors accrédité auprès des cantons catholiques, avant de l’être auprès de la Confédération dès 1803.

Les Accords du Latran manifestent que le Vatican est un Etat insignifiant en termes de «pouvoir dur» (il n’a ni armée ni force économique), mais, étant donné sa capacité à toucher les cœurs et les esprits, on lui reconnaît un «pouvoir doux». Le Saint-Siège a participé de près à certains évènements historiques, comme l’effondrement de l’Empire soviétique, dans lequel le pape Jean-Paul II a personnellement joué un rôle crucial.

La plupart du temps, comme l’atteste la restauration des liens entre les Etats-Unis et Cuba en décembre 2014, suite à la patiente médiation du pape François, les résultats montrent l’efficacité considérable du travail mené en coulisse par le réseau diplomatique de l’Eglise.

Le Vatican est le siège de la gouvernance universelle de l’Eglise catholique. Il détient une souveraineté internationale, ce qui signifie qu’il est reconnu comme une entité légale, avec laquelle les gouvernements peuvent entretenir des relations. Cette souveraineté est ce qui permet, par exemple, à l’évêque d’un diocèse d’être nommé par le Vatican plutôt que par le gouvernement local.

Elle donne aussi à l’Église une indépendance déterminante par rapport à tout pouvoir politique. La liberté religieuse, c’est-à-dire la liberté de pratiquer sa religion, de manifester sa foi, etc., est protégée par l’indépendance de l’Eglise catholique, manifestée par sa souveraineté internationale.

Rien de ce que le Saint-Siège parvient à accomplir dans le monde (en usant de son autorité morale et de sa présence auprès des pays du monde entier pour faire changer les choses de façon efficace) ne serait possible sans cette souveraineté internationale.

Le Saint-Siège existe en tant qu’oganisation de manière ininterrompue depuis le IVe siècle, ce qui fait de lui un des États-Nations les plus anciens au monde. Ses relations ne sont pas restreintes aux pays de tradition catholique : quelques 180 pays entretiennent des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, et on compte 83 ambassadeurs près le Saint-Siège résidant à Rome.

Pietro Parolin vs cardinal Voiello (Silvio Orlando)

Le parcours de l’actuel secrétaire d’État, le cardinal Pietro Parolin (à des années-lumière du cardinal Voiello joué par Silvio Orlando dans The Young Pope), donne un bon aperçu du type dactivités diplomatiques dans lesquelles le Saint-Siège est impliqué. Cet homme a renforcé les liens entre le Vatican et le Vietnam, ce qui a permis d’établir des bases de la liberté religieuse. Il a fait faire un grand pas en avant aux relations entre le Saint-Siège et la Chine. Il a été à la pointe des efforts du Vatican pour approuver le Traité de Non-Prolifération Nucléaire et à l’origine de la libération des quinze membres de la marine anglaise pris en otage par les forces iraniennes dans le Golfe persique en avril 2007.

Plus tard, comme sous-secrétaire de la section pour les relations avec les États, il a notamment pris part à des médiations dans des zones troublées telles que le Timor oriental, et aux négociations de paix entre L’Équateur et le Pérou au sujet de leurs frontières. Il a également soutenu les efforts internationaux pour bannir les armes à sous-munitions. Depuis sa nomination comme secrétaire d’État, il a supervisé les efforts du Vatican pour combattre le trafic d’êtres humains. Pierre Morel, ancien ambassadeur français près le Vatican (que l’un des contributeurs de ce blog a connu lorsqu’il était ambassadeur à Moscou, mais on s’en fiche un peu nous direz-vous), décrit en ces termes le rôle unique du Saint-Siège dans la diplomatie mondiale :  « Le Vatican exprime les profondes frustrations des peuples du monde, et son appel provient de la souffrance des communautés des deux côtés. »

Le pape sort-il souvent d’une piscine tout habillé ?

The Young Pope (Pie XIII) sort de sa piscine

Cette image est un peu capilotractée, tout comme celle du pape qui fume (cf notre article « mais que fait donc le pape de ses journées ? »). Alors même s’il s’agit d’une campagne de Canal + faite pour susciter des abonnés autour de la nouvelle série The Young Pope / The New Pope, bien sûr que le pape ne sort pas trempé de sa piscine, il n’y entre même pas tout habillé comme en burkini, et sa piscine n’est pas en forme de croix, comme tout ce qui concerne l’Eglise et le pape (églises en forme de croix ?, Vatican ou place saint Pierre en forme de croix ?, papamobile en forme de croix ?, avion papal en forme de croix ?, micros en forme de croix ?, petit-déj en forme de croix ?, bénédicité en signe de croix ?, crucifix en forme de croix mais à l’envers cf bande-annonce, etc.).

On peut cependant révéler ici qu’il existe bel et bien une piscine papale. Et oui ! Elle a été installée par le plus sportif de nos trois derniers papes, à la résidence d’été de Castel Gandolfo, à 20 km du Vatican, par   Jean-Paul II (François, il lui manque un poumon dû à une grave maladie étant étudiant, Benoît XVI était déjà un peu âgé quand il est arrivé). Dès qu’on trouve une photo, on vous la montre…

Ainsi, je ne sais pas si ça vous intéresse, mais on surnommait Karol Wojtyla alias Jean-Paul II, l’«athlète de Dieu». Il est ainsi le seul successeur de Pierre à avoir pratiqué le football, la natation, le canotage, le ski et l’alpinisme. Au foot, il était plutôt courageux si l’on considère qu’à l’époque les jeunes polonais – par ailleurs assez pauvres – ne jouaient pas avec les chaussures à crampons comme cela se fait aujourd’hui mais utilisaient des chaussures de montagne, souvent pourvues de clous… Ainsi, il n’était pas rare que le petit Karol, pour parer les tirs et encaisser la charge des adversaires, rentre chez lui en loques… Heureusement, son père était plutôt cool, affirmant paraît-il que les coups de pieds pouvait bien tremper le caractère d’un jeune polonais…

Aussi nous laissons ici la plume à Franco Bucarelli, journaliste vaticaniste de la RAI, qui donne son témoignage… il y est question aussi de la piscine de Jean-Paul II, et des clichés ‘compromettants’ (?) pris en sortant de celle-ci…

A douze ans, Karol découvrait la beauté de la natation. L’idée de courir et de participer à des courses sur l’eau le fascinait mais cela n’était pas facile dans la mesure où, dans cette région de la Pologne, la mer est très éloignée et représentait presque un mirage pour ces jeunes. Il fallait donc apprendre à nager dans les rivières. Mais ce n’était pas rien car les courants étaient forts et, comme chacun sait, l’eau douce ne soutient pas les nageurs. Mais le garçon était tenace et, en peu de temps, il a appris à utiliser la technique des longues brasses et de la respiration à fleur d’eau.

Il a également défié de petits rapides et de gros cailloux à bord d’un canoë artisanal, évitant avec brio les cents dangers qui caractérisent un parcours aquatique de ce genre. Devenu un peu plus grand, au lycée, il commença à découvrir les beautés de la montagne. (…) A la première occasion, il s’unissait à des amis qui partaient pour la chaîne des monts Tatra, qui marquent la frontière entre la Pologne et la Slovaquie, cimes merveilleuses entourées par des forêts de pins. Il profitait des vacances du mois d’août pour s’adonner aux joies de l’escalade, souvent en solitaire, par ces sentiers raides, jusqu’à atteindre les 2.499 mètres d’altitude du mont Rysy, au sommet duquel on découvre un panorama extraordinaire avec, en arrière plan, le lac Morskie Oko que les polonais appellent «l’œil de la mer».

C’est là que le jeune Karol aimait pêcher en solitaire, concentré dans ses pensées de jeunesse et dans ses méditations qui annonçaient déjà sa future vocation sacerdotale. Tous ces sports, il a continué à les pratiquer en tant que prêtre, d’abord comme curé et même en tant qu’évêque.

En 1967, il se trouvait justement en barque quand il fut rejoint par la nouvelle que le Pape Paul VI l’avait créé cardinal. L’appel en Conclave interrompait la pratique du ski qui avait vu ce jeune et vigoureux cardinal prendre sur ses épaules une vieille paire de skis et s’élancer sur les pistes qui entourent Zakopane, la Chamonix polonaise où les champs de poudreuse s’étendent à perte de vue.

Depuis sa jeunesse, il avait appris à descendre comme une gazelle d’hiver, le long de ces pentes dangereuses, jouant à faire le slalom entre les centaines de sapins, défiant presque la nature pour laquelle il avait cependant un respect sacré. Jusqu’à l’hiver 1978, il n’y eut pas d’hiver qui ne le vit skier sur les pistes des monts Tatra.

Devenu le Pape Jean-Paul II, au cours d’une vacance sur l’Adamello, il laissa littéralement de glace le Président italien Pertini qui s’attendait à tout sauf à ce que le Pape soit un excellent skieur. Le chef de l’État s’approcha et lui dit: « Compliments, Sainteté, je dois vous confesser que j’ai été choqué de vous voir aller aussi vite sur la neige ». Karol Wojtyia, souriant, lui répondit: «Monsieur le Président, je suis fils des montagnes !».

Autour de la fameuse piscine

Au cours des premières années de son Pontificat, il se fit construire une piscine à Castel Gandolfo, faisant de longues séances de natation à l’heure de la sieste. Alors que tous ses collaborateurs sommeillaient, lui, à coup de brasses vigoureuses, allait d’un bout à l’autre du bassin à la stupeur des gardes suisses…

Imaginez aussi la surprise des jardiniers qui, entre une taille et l’autre, se montraient pour voir le pape nageur… Mais ce hobby dura peu de temps parce que la nouvelle fut dévoilée et des photographes se positionnèrent dans les environs de la villa pendant des semaines entières !

Puis, grâce à un jeu diabolique de miroirs et de téléobjectifs, ils réussirent à prendre une photographie du pape qui sortait de la piscine ruisselant d’eau et qui s’essuyait avec une nappe sans que personne de la surveillance vaticane ne s’aperçoive de la présence des intrus. Les clichés firent le tour des agences mondiales. Mais le Souverain Pontife – quand il l’apprit -ne se troubla apparemment pas et quelqu’un prêtant même qu’il se soit amusé du truc utilisé par les photographes et de l’embarras que l’affaire avait provoqué au sein de la Curie romaine.

Mais ces photographies du pape au bord de la piscine ne furent jamais publiées parce que quelqu’un les acheta et en fit don au Saint-Siège. Cependant, connaissant bien Karol Wojtyta, je suis sûr qu’il ne se serait pas offusqué dans la mesure où, en lui, il avait toujours conservé un peu de l’esprit désinvolte du jeune étudiant polonais qui s’amusait à faire des blagues à ses amis.

Une histoire de chaussures…

A peine élu, il étonna les vieux cardinaux de la Curie et le cordonnier du Vatican parce que, quand on lui apporta les chaussures rouges, il les prit délicatement et les mit de côté, commandant aussitôt une belle paire de mocassins, par ailleurs marrons et pas même noirs, à utiliser immédiatement, lors de sa deuxième apparition en public.

Et depuis ce jour-là, c’est avec ces mocassins couleur cuir naturel qu’il a parcouru le monde entier avant de les porter avec lui dans la tombe. Le football lui est toutefois toujours resté cher. En 1984, au cours du Jubilé du sport, à Rome, il demanda à aller s’asseoir sur les tribunes du stade, faisant encore une fois frémir les conservateurs de la Curie qui se plaignaient en disant: «II nous manquait seulement le Pape au stade!». Mais lui ne s’en préoccupait guère et il s’amusait même beaucoup. A ce qu’en raconte son secrétaire particulier, Mgr Dziwisz, jusqu’à ce que sa santé le lui permit, il n’a jamais perdu une finale de coupe du monde. Et ce n’est pas tout. Il tint à renforcer l’équipe de football qui, encore aujourd’hui, endosse les couleurs du Vatican et se trouve formée de toutes pièces par des éléments qui travaillent outre les murs léonins qui jouent dans un championnat local. Je me rappelle encore une fois qu’il déclara dans un discours: «Les disciplines sportives pratiquées par des personnes de races et d’extraction sociale différentes deviennent un excellent moyen pour promouvoir la connaissance et la solidarité, tant nécessaire dans un monde déchiré par les conflits ethniques, religieux et raciaux».

Il ajouta ensuite: « Le sport est un médicament fabuleux qui réussit même à transformer les pulsions négatives des hommes en bonnes intentions » (du coup, on se demande si Pie XIII fait assez de sport, ndlr). Il l’a répété souvent, ajoutant au cours de son pontificat que c’est le sport qui avait trempé son caractère énergique.

Et de fait, qui mieux que lui et que son exemple peut enseigner aux autres comment entrer en compétition, comment accepter les grands défis de la vie ? Chacune de ses rencontres avec des sportifs de tout type avait toujours eu un impact extraordinaire réciproque: pour les athlètes, une injection d’enthousiasme et de fair-play, pour lui, un renforcement de souvenirs de jeunesse devenus toujours plus précieux au fur et à mesure que l’inexorable maladie poursuivait son agression. Il aimait à répéter ce que l’apôtre Paul disait souvent au Corinthiens: «Ne savez-vous par que, dans les courses au stade, tous participent mais un seul remporte le prix ? Courez, vous aussi, de manière à pouvoir le remporter!».

Le dernier match

La dernière course de Karol Wojtyla a duré cinq ans et a commencé lorsqu’il sentit qu’il ne pouvait plus marcher avec ces jambes qui l’avaient porté annoncer l’Évangile sur les cinq continents. Il confia à une canne, faite de bois de sa terre de Pologne, la mission de le soutenir plus encore moralement que physiquement, canne qui devint une précieuse compagne pendant au moins deux ans.

Puis ce soutien devint inutile parce que le vieux Karol avait déjà engagé un corps à corps avec la maladie qui l’assaillait tous les jours davantage, le clouant sur un fauteuil jusqu’à le contraindre à jouer le dernier match contre la mort. Quelle douleur pour qui l’avait vu escalader les montagnes, nager dans les rivières, grimper sur les cimes enneigées de ses chères montagnes ! Mais lui avait compris que le meilleur médicament était la rencontre avec les jeunes. Avec eux, il a retrouvé la vigueur de ses jeunes années, il a imaginé d’être redevenu de leur âge et ainsi il chantait, il battait les mains au rythme de la musique, il faisait onduler ses bras dans un mouvement affectueux de pendule entre une jeunesse qui exultait et une vieillesse sur le chemin du crépuscule.

Cher Karol, de lui on a dit tant de choses, à temps et à contre temps, comme cela arrive quand la vanité humaine parvient à écraser la discrétion et la vérité (et parfois aussi comme dans les séries comme The Young Pape, ndlr).

Moi qui ai été un grand admirateur et un ami dévoué, je veux l’imaginer, au moment le plus solennel de sa vie, redevenu le jeune qui, sur les prés de Wadowice, au coup de sifflet final du match de la Vie, sort du terrain en silence et sur le mur de l’Éternité met ses chaussures à crampons au clou de l’Histoire.

Pour aller plus loin :

Le pape sait-il ce que c’est que d’attendre le train un jour de grève ?

Si Dieu ne prend pas le train,  il peut quand même se faire une idée assez précise de que c’est que d’attendre le train un jour de grève. Comme quelqu’un  de suspendu à son téléphone qui attend qu’on l’appelle pour avoir des nouvelles d’un être cher (vous!)…

Bon, disons-le clairement, nous n’avons pas eu de pape français depuis que le train existe. Cependant, on peut dire avec certitude qu’il n’y a pas seulement des grèves à la SNCF, mais aussi dans d’autres pays. Et que donc, le pape, quelque soit son origine, ne vivant pas dans sa tour d’ivoire vaticanesque depuis sa plus tendre enfance, mais ayant pu être tour à tour bébé, collégien, lycéen (voire même scout), étudiant, bref simple voyageur parmi les voyageurs, a dû bien connaître, un jour où l’autre, une pénible attente sur un quai de gare, les pieds poudreux, gelés, transi de froid ou même étouffé par la chaleur tropicale… que sais-je.

Mais pourquoi cette question, au juste ? Parce qu’il a de fortes chances pour que le pape, s’il est bel et bien, comme on le dit souvent, le représentant de Dieu sur Terre, à une vie imprégnée de ce que vit l’Eternel, donc y compris sur cette question de l’attente (et de la tente aussi, mais c’est un autre sujet). Qui nous dit que Dieu est éternel ? -me répondrez-vous. Et bien, reprenons notre question de départ en la planquant sur Dieu, ce qui donne « Dieu sait-il ce que c’est que d’attendre le train un jour de grève ? », inspirée du livre de Paul Clavier (*).

Pour y répondre, si Dieu n’est pas éternel, alors son éternité ne le fait pas échapper au temps. Du coup, Dieu est sempiternel ! Il a beau être le Créateur de toute existence qui vient après lui – même pour Jude Law – , il n’est alors pas le créateur du temps : il est soumis à ce dernier. Du coup, il vieillit, et on l’imagine alors, du haut de son dernier nuage, avec une barbe touffue qui pendouille… Image d’Epinal-en-France fort sympa ! Par extension, Dieu ne connaît alors pas l’avenir, il le découvre chaque jour, comme cette série The Young Pope de Canal+, qui le surprend beaucoup, au fil des épisodes. Et les prophètes du Père Eternel ne sont alors que des marionnettes dans un jeu de poker menteur ! Bref, un Dieu manipulateur et lunatique…

Pourtant, la plupart des textes sacrés (bibliques, védiques, coraniques), évoquent un Dieu plus ou moins patient, plus ou moins lent à la colère, capable de revenir sur ses décisions, de changer d’avis et même d’user de pédagogie envers ses disciples (contrairement à l’attitude maffioso-dictatoriale de Pie XIII dans The Young Pope).

On peut donc en conclure que si Dieu ne prend pas le train – en tout cas pas autrement que par ses médiateurs/évangélisateurs de TGV, cf l’histoire bien connue de Gros prêtre cool – il peut quand même se faire une idée assez précise de que c’est que d’attendre le train un jour de grève. Il a beau avoir tout son temps (il est immortel, en fait, sinon ce n’est pas Dieu), il sait ce que c’est d’attendre… notre bon vouloir.

On peut même rajouter que non seulement il sait attendre, mais qu’il est dans une posture d’attente perpétuelle, comme quelqu’un suspendu à son téléphone attend qu’on l’appelle pour avoir des nouvelles d’un être cher (vous). Et en réalité – ce qui manque cruellement à la série The Young Pope-, pour reprendre les mots de la réalisatrice Natalie Saracco : Dieu attend notre appel, il « quémande notre amour, il souffre de notre indifférence ».

En fait, pour reprendre ce que dit de notre philosophe Paul Clavier, Dieu n’est tellement pas hors du temps qu’il surplombe les siècles des siècles. Rien n’est caché à ses yeux : il est comme un réalisateur de cinéma qui aurait lui toute les scènes du film, et qui va procéder au montage. (Un peu comme Paolo Sorrentino, mais en plus inspiré quand-même). Cela semble relativiser et dévaloriser les notions de durée, d’attente, d’espoir, et même de regret(s) !

* 100 questions sur Dieu, éditions La Boétie 2013 (Paul Clavier est normalien, agrégé de philosophie) – se procurer le livre sur Amazon