D’où vient la Cité du Vatican ?

Vue de la Cité du Vatican, dans The Young Pope (le bus est arrêté en pleine côte)

Dans la série The Young Pope et son Pie XII fantasmé, l’impasse est faite sur la fabuleuse histoire réelle de la Cité du Vatican. D’où nous vient-elle ? La réponse de Michèle Jarton, historienne des religions, dans son livre L‘épopée du catholicisme, pour expliquer 2000 ans d’Eglise à mes amis.

Pie XI (1922-1939) et Pie XII (1939-1958) s’efforcèrent, en temps que papes, de faire reconnaître et respecter la liberté et les droits de l’Eglise sur la scène publique, comme le moyen de sa mission spirituelle. Dans un monde politique qui s’internationalise, il n’est plus question pour les gouvernements d’accepter que Rome intervienne directement dans les affaires temporelles.
Les relations entre l’Église catholique et les autres États prennent un nouveau visage avec la création de l’État pontifical, le Saint-Siège : le souverain pontife devient aussi chef d’État. Le traité du Latran va donner à l’Église catholique des moyens adaptés à la vie internationale de ce nouveau siècle, tant pour faire fonctionner librement son gouvernement centralisé et son extension universelle (lire aussi notre article Le Vatican est-il une dictature ?), que pour établir un réseau diplomatique qui deviendra planétaire. Il confère aussi à l’autorité du Vatican la faculté de prendre place au sein des organisations internationales nées après la Première guerre mondiale et qui se multiplieront après la Seconde (le Saint-Siège aura un statut d’« observateur », en raison de la neutralité imposée par les Accords du Latran, art. 24). Ce cas est unique pour une confession religieuse.

La Cité du Vatican

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La fameuse « question romaine » trouve sa conclusion dans les Accords du Latran entre le Saint-Siège et l’Italie. Le 11 février 1929, le cardinal Gasparri, secrétaire d’État (au nom du pape Pie XI) et Mussolini, premier ministre (au nom du roi Victor-Emmanuel III) signent un traité et une convention financière annexe. Ils créent un nouvel État de 0,44 km2, sur la scène internationale, la Cité du Vatican.

On lit dans le préambule : « Étant donné que, pour assurer au Saint-Siège l’indépendance absolue et visible, il faut lui garantir une souverain indiscutable, même dans le domaine international, on s’est rendu compte qu’il était nécessaire de constituer… la Cité du Vatican, reconnaissant au Saint-Siège, sur cette même Cité, la pleine propriété, la puissance exclusive et absolue et la juridiction souveraine ».
Au regard du droit international, c’est le « Saint-Siège » (et l’« Église catholique ») qui a une personnalité juridique. Il est représenté par le pape qui exerce lui-même une double souveraineté territoriale (sur un État de 44 ha) et spirituelle (sur 1 milliard de fidèles). On distinguera donc l’action du Saint-Siège en tant qu’entité de la Cité du Vatican et en tant qu’entité de l’Eglise catholique (lire aussi notre article Saint-Siège et Vatican, c’est pareil ?).
Une convention financière stipule qu’à titre de dédommagements pour la perte de ses anciens États (les fameux Etats pontificaux) et de ses biens ecclésiastiques, le Saint-Siège recevrait de l’Italie 750 millions de lires et des titres à 5 % d’une valeur nominale de 1 milliard.
A l’occasion de la signatures des Accords du Latran, Pie XI affirme :

« Il nous plaît de voir le domaine foncier réduit à de si minimes proportions qu’il puisse et doive être lui-même considéré comme spiritualisé par l’immense, sublime et vraiment divine puissance spirituelle qu’il est destiné à soutenir et servir ».

Le pape va entreprendre de transformer cet ensemble de palais et musées en un lieu de gouvernement. Il construit une petite gare, une poste, un magasin d’approvisionnement, un service hospitalier… Seuls sont logés dans le minuscule périmètre du Vatican, le pape, la secrétairerie d’État, plusieurs services, collèges et musées. Les autres organismes, dont les Congrégations (ou ministères) sont situés à Rome, dans des bâtiments qui bénéficient du privilège de l’extraterritorialité, avec exemption d’expropriation (Annexe II, du traité du Latran).

Le Vatican et le Saint-Siège, c'est pareil ?

Cardinal Voiello (Silvio Orlando) - The Young Pope
Cardinal Voiello (Silvio Orlando) dans la série The Young Pope
Le Cardinal Voiello (Silvio Orlando) dans The Young Pope : une éminence grise aux manigances pas très catholiques, mais qui conseille assidûment le pape Pie XIII…

Dans la série The Young Pope du réalisateur Paolo Sorrentino diffusée simultanément sur Canal+, Sky Atlantic et HBO, l’action se déroule au Vatican. Sans qu’il soit toutefois expliqué une seconde, dans la bouche d’un des protagonistes, ni même du pseudo obscurantiste pape Pie XIII, ce que ce petit Etat représente. Les explications d’Austen Ivereigh, avec la participation de Natalia Trouiller, dans le livre Comment répondre aux questions brûlantes sur l’Eglise sans refroidir l’ambiance (Editions de l’Emmanuel 2016).

La ville du Vatican, malgré sa splendeur, n’est qu’une petite partie de la ville de Rome. Elle est cependant reconnue comme un Etat suite aux Accords du Latran de 1929. Cet accord signé avec le dictateur italien Benito Mussolini mettait un terme à la question de la souveraineté territoriale du Vatican qui se posait depuis la perte des États pontificaux et la naissance de l’Italie en tant qu’Etat-nation.

On entend dire parfois que c’est uniquement grâce à ces accords que le Vatican est reconnu sur le plan international. Mais ce serait confondre le statut du Vatican comme État et la souveraineté internationale du Saint-Siège, reconnue, elle, depuis des siècles, et donc bien avant 1929. Par exemple, les plus anciennes relations diplomatiques que la France entretient sont celles qui la lient au Saint-Siège depuis le XIIIe siècle. Ces relations ont été formellement établies sous Henri IV et ne connurent d’interruption qu’entre 1904 et 1921, soit plusieurs années avant les Accords du Latran. La nonciature apostolique en Suisse, établie en 1597 à Lucerne, est la plus ancienne représentation permanente du Saint-Siège au nord des Alpes. Le nonce était alors accrédité auprès des cantons catholiques, avant de l’être auprès de la Confédération dès 1803.

Les Accords du Latran manifestent que le Vatican est un Etat insignifiant en termes de «pouvoir dur» (il n’a ni armée ni force économique), mais, étant donné sa capacité à toucher les cœurs et les esprits, on lui reconnaît un «pouvoir doux». Le Saint-Siège a participé de près à certains évènements historiques, comme l’effondrement de l’Empire soviétique, dans lequel le pape Jean-Paul II a personnellement joué un rôle crucial.

La plupart du temps, comme l’atteste la restauration des liens entre les Etats-Unis et Cuba en décembre 2014, suite à la patiente médiation du pape François, les résultats montrent l’efficacité considérable du travail mené en coulisse par le réseau diplomatique de l’Eglise.

Le Vatican est le siège de la gouvernance universelle de l’Eglise catholique. Il détient une souveraineté internationale, ce qui signifie qu’il est reconnu comme une entité légale, avec laquelle les gouvernements peuvent entretenir des relations. Cette souveraineté est ce qui permet, par exemple, à l’évêque d’un diocèse d’être nommé par le Vatican plutôt que par le gouvernement local.

Elle donne aussi à l’Église une indépendance déterminante par rapport à tout pouvoir politique. La liberté religieuse, c’est-à-dire la liberté de pratiquer sa religion, de manifester sa foi, etc., est protégée par l’indépendance de l’Eglise catholique, manifestée par sa souveraineté internationale.

Rien de ce que le Saint-Siège parvient à accomplir dans le monde (en usant de son autorité morale et de sa présence auprès des pays du monde entier pour faire changer les choses de façon efficace) ne serait possible sans cette souveraineté internationale.

Le Saint-Siège existe en tant qu’oganisation de manière ininterrompue depuis le IVe siècle, ce qui fait de lui un des États-Nations les plus anciens au monde. Ses relations ne sont pas restreintes aux pays de tradition catholique : quelques 180 pays entretiennent des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, et on compte 83 ambassadeurs près le Saint-Siège résidant à Rome.

Pietro Parolin vs cardinal Voiello (Silvio Orlando)

Le parcours de l’actuel secrétaire d’État, le cardinal Pietro Parolin (à des années-lumière du cardinal Voiello joué par Silvio Orlando dans The Young Pope), donne un bon aperçu du type dactivités diplomatiques dans lesquelles le Saint-Siège est impliqué. Cet homme a renforcé les liens entre le Vatican et le Vietnam, ce qui a permis d’établir des bases de la liberté religieuse. Il a fait faire un grand pas en avant aux relations entre le Saint-Siège et la Chine. Il a été à la pointe des efforts du Vatican pour approuver le Traité de Non-Prolifération Nucléaire et à l’origine de la libération des quinze membres de la marine anglaise pris en otage par les forces iraniennes dans le Golfe persique en avril 2007.

Plus tard, comme sous-secrétaire de la section pour les relations avec les États, il a notamment pris part à des médiations dans des zones troublées telles que le Timor oriental, et aux négociations de paix entre L’Équateur et le Pérou au sujet de leurs frontières. Il a également soutenu les efforts internationaux pour bannir les armes à sous-munitions. Depuis sa nomination comme secrétaire d’État, il a supervisé les efforts du Vatican pour combattre le trafic d’êtres humains. Pierre Morel, ancien ambassadeur français près le Vatican (que l’un des contributeurs de ce blog a connu lorsqu’il était ambassadeur à Moscou, mais on s’en fiche un peu nous direz-vous), décrit en ces termes le rôle unique du Saint-Siège dans la diplomatie mondiale :  « Le Vatican exprime les profondes frustrations des peuples du monde, et son appel provient de la souffrance des communautés des deux côtés. »